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Photo du rédacteurMarie-Claire Fortin

Le corridor de nage en eau libre de Maria

Le paradoxe de l’accès sécuritaire


La partie nord de la péninsule de la Gaspésie est parsemée de villes et de villages souvent nichés dans des baies entre des montagnes escarpées. Complètement différente, la partie sud de la péninsule est une magnifique région nommée d'après la masse d'eau qui la borde, avec des baies naturelles et des plages de sable : la baie des Chaleurs. De l’ouest à l’est, elle s’étend sur environ 100 kilomètres avant de se jeter dans le fleuve Saint-Laurent. Plus on avance vers l’est, plus la côte du Nouveau-Brunswick s'éloigne jusqu’à se fondre dans l’horizon. Je comprends pourquoi ici on l’appelle la mer. En plus, et c’était pour moi une première, son eau est salée.


J'ai l'habitude de nager dans des lacs, donc nager dans la mer allait être une expérience nouvelle. Quand j'étais enfant, j'avais joué dans les vagues le long de la côte est américaine, mais je n'avais jamais vraiment nagé dans l’eau salée. Heureusement, le jour où j'ai visité le corridor de nage de la municipalité de Maria, le temps était calme, et cette mer, souvent agitée ou imprévisible selon les marées, était paisible. Le ciel était complètement gris depuis plusieurs jours à cause des nombreux feux de forêt dans l'ouest du Canada. La fumée, si haute, n'altérait pas la qualité de l'air. En plus de ce ciel gris permanent, le soleil et la lune apparaissaient rouges à tour de rôle, comme des complices de quelque chose de plus grand que nous. Un peu apocalyptique.


L'immensité de la baie des Chaleurs, photo Marie-Claire Fortin


En nageant, je m’efforce toujours de ne pas penser aux poissons, ce qui est généralement tout ce que je pourrais rencontrer dans les lacs. Mais en nageant dans la baie des Chaleurs, je pouvais croiser de petits crabes, des créatures marines inconnues (de moi, évidemment), différents types de plantes marines et des méduses. Oui, des méduses appelées localement soleils de mer, qui deviennent plus courantes en été à cause du réchauffement climatique.


Sans le corridor de nage installé par la municipalité de Maria, je n'aurais pas eu le courage de nager seule dans la mer. Sans être de nature aventureuse, ni trop peureuse, la vérité est surtout que je n’ai pas les connaissances de l’endroit. La marée, les obstacles de fond qui créent des courants inattendus ou des obstacles à éviter. À mon grand bonheur, c'est la deuxième année que la municipalité installe ces bouées et un panneau explicatif indiquant les précautions à prendre pour nager à cet endroit en toute sécurité.


Magalie Forest, Geneviève Bouffard, Marie-Claire Fortin et Thomas Romagné posent devant l'affiche du corridor de nage de Maria


Comment permettre un accès qui soit sécuritaire sur des kilomètres de berges? N’est-ce pas tout le charme de la Gaspésie, ses kilomètres de plages et de baies? Vouloir prévenir tout danger tout en permettant l’accès me semble être en Gaspésie un paradoxe impossible à atteindre.


Cela nous confronte à des questions liées à la responsabilité civile. Comment un propriétaire comme la municipalité de Maria pourrait-elle être tenue responsable des faits et gestes de toute personne qui a accès à la baie des Chaleurs par le biais du terrain dont elle est propriétaire? Mieux informer plutôt que d’interdire est l'exemple démontré par la municipalité, et le corridor fait partie de cette initiative.


Lors de ma visite, j’avais donné rendez-vous à Magalie Forest, notre ambassadrice pour la grande région de la Gaspésie. J’avais fait connaissance avec elle l’année précédente, lorsque je travaillais à identifier les lieux de nage au Québec. Elle m’avait alors fait découvrir des outils développés dans le cadre du projet-pilote « Plages et rivières » 2021, initié par l’Unité régionale de loisir et de sport de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (URLS). Magalie avait piloté ce projet en partenariat avec la Société de Sauvetage. J’ai trouvé que ces outils, disponibles ici, peuvent être très utiles aux propriétaires riverains qui se demandent comment donner accès à un site en toute sécurité. On y aborde l’aménagement, la gestion des risques, l’affichage et on propose même une banque de pictogrammes pratiques. Il me semble primordial de signaler les dangers lorsqu’ils existent. Mais identifier les risques ne veut pas dire couvrir des kilomètres de berges avec des panneaux interdisant la baignade. Si ces questions vous intéressent, je vous recommande aussi un guide en ligne très utile fait par Société de sauvetage qui se veut aussi un guide de bonnes pratiques à l'intention des propriétaires riverains.


Un corridor de nage n'est pas une contrainte à la liberté de nager en eau libre. C’est, je le crois, un élément de sécurité, tout comme une piste cyclable l’est pour les cyclistes.

Dans une démarche préventive, l’URLS GIM et la Société de sauvetage ont voulu outiller les gestionnaires de sites pour les aider à prévenir ce qui est raisonnablement prévisible et à agir de façon prudente et diligente. En s’appuyant sur cette démarche, ils peuvent mieux repérer les risques et poser des actions concrètes pour les atténuer.


De retour à ma visite. Arrivée sur place, j'y ai rencontré Magalie, qui avait donné rendez-vous au directeur général de la municipalité, Thomas Romagné, ainsi qu'à Geneviève Bouffard qui avait aussi travaillé comme chargée de projet pour l’URLS. Thomas Romagné m’a mentionné que grâce au corridor les gens réalisaient de plus en plus que la baignade ici était sécuritaire et accessible. Sans cet encouragement avec les bouées en place bien visibles, moins de personnes oseraient se lancer à la nage. J’ai entendu des nageurs et nageuses me dire qu’ils étaient passés par Maria sans oser y nager avant que les bouées soient installées. C'est aussi un excellent moyen de rassembler les gens, de leur permettre de s’assurer d’un point de rencontre où il y a un abri, des toilettes publiques, une douche extérieure pour se rincer en sortant de la mer et un stationnement.


Photo Marie-Claire Fortin


Les propriétaires ou gestionnaires de terres riveraines hésitent souvent à permettre l'accès à leur territoire par crainte d'être tenus responsables de la sécurité des personnes qui s'y aventurent. Cela crée une tension entre le désir de favoriser un accès libre à un lieu non supervisé, non surveillé, et la peur des conséquences légales potentielles.


Je crois, à l'instar de Outdoor Swimming Society, qu’avec la liberté de nager, vient la responsabilité de le faire en sécurité.

En installant un corridor de nage en eau libre, la municipalité de Maria fait diligence raisonnable et indique aux pratiquants et pratiquantes à quel endroit il est sécuritaire de nager et s’assure ainsi de leur indiquer d’être visibles, annonçant aux autres usagers leur présence.


J’ai nagé quelques centaines de mètres pendant que les personnes qui m’accompagnaient faisaient deux fois l’aller-retour du corridor sur toute sa longueur. Un bel entraînement de plusieurs centaines de mètres! Moi, j’étais surprise par tout : mes pieds qui flottaient beaucoup trop à cause de l’eau salée (voir les preuves ici), la mer grise qui se fondait au ciel de la même couleur, et ma peur persistante de croiser un soleil de mer.

Photo Charlotte Céré


J’ai poursuivi mon tour de la Gaspésie et visité un second corridor de nage, celui de la Baie de Gaspé. Situé en plein centre-ville de Gaspé, ce corridor est tout aussi facilement accessible. Il offre un stationnement et des cases en libre accès.


Lors de ma tournée 2024, j'ai réalisé que les corridors de nage sont plus que des infrastructures: ce sont des invitations à explorer, à essayer, à dépasser ses limites, mais aussi à se connecter avec des gens passionnés et des lieux uniques. J'ai pu constater l’effort collectif pour rendre la nage en eau libre plus accessible et sécuritaire, et je suis reconnaissante d'avoir croisé des gestionnaires dévoués ainsi que des nageurs et nageuses enthousiastes.


Photo Marie-Claire Fortin


Depuis la création de Nage en eau libre Québec, chaque été, des administrateurs de sites riverains nous contactent pour obtenir davantage d'informations sur la création d’un corridor de nage. Nous les référons à nos cartes et à des exemples inspirants partout au Québec. Quel sera le prochain nouveau corridor de nage en eau libre au Québec?


Marie-Claire Fortin

Fondatrice du site Nage en eau libre Québec, nageuse récréative et passionnée, elle souhaite aider les nageurs à trouver des sites où pratiquer la nage en eau libre en toute sécurité et que les propriétaires qui peuvent permettre des accès soient sensibilisés et embarquent dans le mouvement.

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